Opinion piece

Faut-il s’endetter pour le climat?

Jean Pisani-Ferry, soutient qu’il ne faut pas s’interdire de financer une partie du coût de la transition écologique par l’endettement.

Publishing date
02 July 2019

This article was published by Le Monde

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La déclaration de politique générale d’Édouard Philippe a placé la transition écologique au premier rang des objectifs du gouvernement. Cette inflexion appelle une stratégie économique à sa mesure. Or si Premier ministre a égrené des mesures sectorielles, toutes importantes, il a fait silence sur la fiscalité carbone, qui semble de facto abandonnée, et n’a explicité ni ce que représente l’effort requis par l’ambition qu’il affiche, ni comment nous allons le financer, ni quelles vont être ses conséquences pour le pouvoir d’achat ou l’emploi.

La tension entre fin du monde et fin du mois n’est pourtant pas près de se dissiper. Parmi tous les changements de comportement qu’il va nous falloir opérer, rares sont ceux qui, à l’instar du passage aux ampoules basse consommation, bénéficient à la fois à l’environnement et au pouvoir d’achat. Dans la plupart des cas, les coûts d’abattement, pour parler comme les économistes, sont positifs et souvent élevés.

C’est bien pour cela qu’il fallait une taxe carbone pour inciter à changer les habitudes. Procéder par la réglementation ne changera rien au fait que substituer un produit vert à un produit carboné entraînera au moins dans un premier temps une perte de pouvoir d’achat. De même, la transition vers un nouveau modèle de développement obligera à mettre au rebut des équipements non encore amortis, avec à la clef une perte temporaire de richesse collective.

Bien sûr, il est possible qu’à terme les technologies vertes se révèlent plus productives que les brunes. C’est ce que suggère l’exemple du photovoltaïque, dont les coûts se sont effondrés. Mais quand bien même cela serait, les coûts immédiats restent significatifs.

Qui doit payer ? Les générations actuelles, ou les suivantes ? Celles qui ont causé le problème, ou celles qui bénéficieront demain des efforts consentis ? Moralement, il est facile de répondre : celles et ceux qui sont nés avant 1970 ont connu les joies d’une consommation débridée et n’en subiront guère les conséquences. Pourquoi les exonérer de la responsabilité de léguer à leurs enfants une planète en état de marche?

Politiquement cependant, la question est moins simple : l’inaction des générations actuelles risque de causer des dommages irréversibles au climat, et les suivantes – qui, par ailleurs, devraient être plus riches que celles d’aujourd’hui – seront très certainement disposées à échanger un peu de pouvoir d’achat contre un environnement moins dégradé. Pour le dire autrement : compte-tenu de l’égoïsme des uns et de la disposition à payer des autres, il ne faut pas s’interdire de financer une partie du coût de la transition par l’endettement.

Nous avons jusqu’ici éludé la question. Nous ne le pouvons plus. Le 18 juin, le taux des obligations d’État à dix ans est pour la première fois passé en-dessous de zéro. Parce qu’elle ne résulte pas de la seule action de la BCE, cette conjoncture favorable est appelée à perdurer un certain temps. Il serait irresponsable de pas en tirer parti pour accélérer la transition écologique.

Deux problèmes se posent cependant. Le premier est qu’ouvrir la porte de l’endettement pourrait vite prêter à toutes les lâchetés. Une chose est de dire que les générations qui viennent peuvent assumer le coût d’un investissement supplémentaire pour la transition écologique, une autre serait d’en rejeter toute la charge sur elles. L’appel à l’endettement ne se conçoit pas sans l’énoncé d’une discipline quant à la répartition des efforts.

Le deuxième problème est qu’il ne faudrait pas que les générations qui viennent subissent à la fois le coût de la dette et celui de l’inaction sur le front du climat. Or l’évolution de ce dernier résulte bien évidemment des comportements de tous les habitants de la planète. S’endetter n’a de sens que dans le cadre d’une action collective internationale à laquelle l’accord de Paris de décembre 2015 ne fournit qu’une base minimale, encore très insuffisante.

Pour ces deux raisons, c’est au moins dans le cadre européen qu’il faut définir un nouveau contrat intergénérationnel sur le financement de la transition écologique. C’est d’ailleurs de la législation de l’Union que relèvent aujourd’hui les normes de dette et de déficit public. Cependant cette législation ignore à la fois l’urgence écologique et, très largement, l’impact des taux d’intérêt sur la soutenabilité de l’endettement. Il faut donc s’attaquer à sa réforme.

Celle-ci devrait d’abord partir du constat que s’il y a beaucoup de mauvaises raisons pour s’endetter, la préservation du climat en est au contraire une bonne. Elle devrait ensuite fournir des repères communs pour le partage entre les efforts que les générations actuelles doivent conserver à leur charge et ceux, additionnels, qu’elles peuvent financer par l’endettement ; le récent ralliement d’une très large majorité d’États membres à l’objectif de neutralité carbone en 2050 offre l’occasion d’une telle réflexion. La réforme devrait enfin expliciter dans quelle mesure un endettement supplémentaire est possible dans le contexte de dettes déjà élevées mais de taux d’intérêt extrêmement bas.

La tâche paraît ardue. Elle ne l’est pas tant que cela. Aujourd’hui les États de l’Union (Royaume-Uni exclu) supportent 150 milliards de charges d’intérêt en moins que si l’écart entre taux d’intérêt et taux de croissance était resté au niveau d’il y a dix ans. Dans les cinq ans à venir ils pourraient en économiser 100 autres. Aujourd’hui le Pacte de stabilité leur permet de choisir entre consommer et épargner cette aubaine. Il faudrait bien plutôt inciter tous les États dont la situation budgétaire n’est pas périlleuse à l’investir, sur la base d’orientations communes, dans un effort supplémentaire pour la transition écologique. Ce ne serait pas plus laxiste que les normes actuelles. Seulement plus responsable.

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