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Tuer l'euro serait idiot

Publishing date
13 September 2005

Lancée par un ministre italien pour des motifs de politique intérieure, l'idée de sortir de l'euro a rapidement fait le tour d'Europe. Si les politiques se sont abstenus de la reprendre, économistes de marché et éditorialistes l'ont commentée ou reprise à leur compte.
Personne, aujourd'hui, ne pense sérieusement réintroduire les monnaies nationales. Mais le rôle des provocations est toujours le même : briser un tabou, défricher le long chemin qui mène à l'acclimatation d'une idée malséante. D'un point de vue économique, le projet n'a guère de sens. Certes, les dirigeants de la Péninsule auraient la vie plus facile s'ils pouvaient chasser temporairement les problèmes en dévaluant comme au bon vieux temps.
Mais la dette publique italienne est, comme la française ou l'allemande, irréversiblement libellée en euros. Comme elle dépasse 100% du PIB, une réintroduction de la lire accompagnée d'une baisse de 10% de sa valeur impliquerait immédiatement une hausse d'un point de PIB de la charge d'intérêt de la dette. Pour éviter de supporter ce coût, il faudrait opérer une conversion forcée. Avant même que l'idée soit articulée, cependant, les détenteurs d'obligations italiennes auraient tôt fait de faire monter les taux en demandant une prime de risque. Au total, un gouvernement qui entreprendrait d'allumer la mèche aurait toute chance de se brûler les doigts. Les seuls pays qui pourraient envisager de quitter l'euro sont paradoxalement ceux qui vont bien, comme l'Irlande ou la Finlande.
Pourquoi ce débat, alors ? C'est d'abord une conséquence directe du referendum. Au moment des négociations sur l'euro, Helmut Kohl avait plaidé pour l'union politique. Son raisonnement était qu'une monnaie partagée perdure si elle symbolise une volonté de vivre ensemble, et donc si les peuples participants la tiennent pour un bien commun qui apporte des bénéfices, mais peut exiger des sacrifices. Il n'avait pas eu gain de cause.
Mais l'union politique était restée en projet et la constitution voulait lui donner un début de réalité. C'est pourquoi le choc du non a réveillé le débat sur l'euro. L'autre raison est évidemment la médiocre performance économique de la zone euro. De la monnaie unique, les Européens attendaient qu'elle les rende plus forts. Or depuis 2001 la zone euro est à la traîne : sa croissance dépasse à peine 1% contre plus de 2% au Royaume-Uni. Certes, il est un peu facile d'accuser l'euro ou la Banque centrale européenne : la réussite économique tient au moins autant aux politiques des Etats. Le cas de l'Italie est net : si l'économie va (très) mal, c'est d'abord parce qu'elle ne s'est pas modernisée et que Silvio Berlusconi n'a rien fait pour y remédier. Il n'empêche : l'euro souffre d'être la monnaie des hommes malades de l'Europe.
Plus qu'une vraie controverse, le débat sur l'euro est donc le symptôme de nos difficultés politiques et économiques. Il nous rappelle que l'Europe est une construction fragile et que ses dirigeants auraient tort d'espérer pouvoir se réfugier dans le maintien du statu quo.

About the authors

  • Jean Pisani-Ferry

    Jean Pisani-Ferry is a Senior Fellow at Bruegel, the European think tank, and a Non-Resident Senior Fellow at the Peterson Institute (Washington DC). He is also a professor of economics with Sciences Po (Paris).

    He sits on the supervisory board of the French Caisse des Dépôts and serves as non-executive chair of I4CE, the French institute for climate economics.

    Pisani-Ferry served from 2013 to 2016 as Commissioner-General of France Stratégie, the ideas lab of the French government. In 2017, he contributed to Emmanuel Macron’s presidential bid as the Director of programme and ideas of his campaign. He was from 2005 to 2013 the Founding Director of Bruegel, the Brussels-based economic think tank that he had contributed to create. Beforehand, he was Executive President of the French PM’s Council of Economic Analysis (2001-2002), Senior Economic Adviser to the French Minister of Finance (1997-2000), and Director of CEPII, the French institute for international economics (1992-1997).

    Pisani-Ferry has taught at University Paris-Dauphine, École Polytechnique, École Centrale and the Free University of Brussels. His publications include numerous books and articles on economic policy and European policy issues. He has also been an active contributor to public debates with regular columns in Le Monde and for Project Syndicate.

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