Opinion piece

Macroéconomie et gilets jaunes

Les analyses de la fronde des gilets jaunes ont surtout mis l’accent sur la répartition des revenus et des prélèvements entre catégories sociales et s

Publishing date
04 December 2018

Chronique pour Le Monde

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Les analyses de la fronde des gilets jaunes ont surtout mis l’accent sur la répartition des revenus et des prélèvements entre catégories sociales et selon le lieu d’habitation. Lecture évidemment pertinente. Mais elle ne doit pas en occulter une autre, qui porte sur les évolutions d’ensemble des dix dernières années et sur ce qu’on peut anticiper pour les dix prochaines.

De 2007 à 2017, le PIB a cru de 8% et le revenu disponible des ménages – après cotisations et transferts – d’à peu près autant, mais le revenu par unité de consommation (qui tient compte de la composition des ménages) n’a augmenté que de 1%. Quant à la composante dite  « arbitrable » de ce revenu (qui exclut les consommations pré-engagées, par exemple les loyers), elle a baissé de 1%.

Le fait est là : les bénéfices d’une croissance déjà anémique se sont dissipés avant de parvenir aux individus. L’explication principale est démographique : augmentation de la population, vieillissement et changement des modes de vie ont induit accroissement du nombre de ménages et réduction de leur taille. Pour maintenir le pouvoir d’achat avant impôts tel que le ressentent les Français, il aurait fallu une croissance d’environ un point par an.

L’avenir ne s’annonce pas très différent. D’ici dix ans, le nombre de seniors va augmenter de 2 millions, alors que la population d’âge actif va rester stable, et la proportion de ménages à une ou deux personnes va continuer à croître. Premier enseignement : il va continuer à falloir de la croissance pour simplement maintenir notre niveau de vie.

S’agissant de la fiscalité carbone, on a également mis le projecteur sur la répartition de la charge. Cette lecture, pertinente, mérite d’être complétée par un regard d’ensemble. Si les objectifs programmés sont maintenus – et il faut au moins qu’ils le soient si nous voulons être à la hauteur de nos engagements pour le climat, le prix du carbone va passer de 7€/t en 2010 à 45 en 2018 et 100 en 2030. Sachant que nos émissions s’élèvent à 5 tonnes par habitant, cela fera de l’ordre de 500€ par personne et par an.

Le calcul est grossier, parce qu’il ignore les exemptions, et suppose que la taxe carbone finira par peser sur les ménages, soit directement, soit via les prix des produits qu’ils consomment. Il ignore aussi que la contrepartie en est la baisse d’autres prélèvements ou l’instauration de mesures de soutien à la transition énergétique. Mais l’ordre de grandeur donne une idée de l’enjeu : 500€ par personne, cela représente 2,5% du revenu des ménages. Deuxième enseignement : la fiscalité carbone n’est pas – disons-le, ne doit pas être – un facteur de second ordre.

Ajoutons un troisième élément. Dans les années 1990-2000, les Français ont retiré d’importants gains de pouvoir d’achat du développement des importations en provenance des pays à bas coût. En 2010, selon une étude de Charlotte Emlinger et Lionel Fontagné, un quart de leur consommation provenait des pays de délocalisation, et l’avantage qu’ils en retiraient s’élevait à quelque 2400€ par ménage et par an. La mondialisation a détruit des emplois, mais elle a aussi été une source considérable de pouvoir d’achat. Le prix des produits manufacturés s’est effondré et nous en avons tous bénéficié.

Cette transition est probablement terminée : avec la montée en gamme de la Chine et le développement du protectionnisme, ces gains de revenu vont au mieux se maintenir, peut-être s’inverser. Pour le meilleur et pour le pire, la grande fête de la consommation touche à sa fin. Troisième enseignement : il ne faut plus compter sur le reste du monde pour nous rendre plus riches.

Conclusion : n’en déplaise aux tenants de la décroissance, les tensions sociales actuelles témoignent de la difficulté à préserver le revenu individuel dans un contexte de mutation démographique, environnementale et commerciale. La croissance, certainement, doit changer de caractère. Mais sans elle, tout est beaucoup plus compliqué.

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