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L’Europe en morceaux

Avec un David Cameron acharné à préserver son rabais et à dégraisser la bureaucratie bruxelloise et un François Hollande soucieux de sauvegarder

Publishing date
12 February 2013

Pour Le Figaro, février 2013

Avec un David Cameron acharné à préserver son rabais et à dégraisser la bureaucratie bruxelloise et un François Hollande soucieux de sauvegarder les intérêts des agriculteurs hexagonaux, les négociations budgétaires de la semaine dernière ont offert l’apparence d’une dramaturgie familière. L’Europe, pourtant, n’est plus la même que lorsque Tony Blair et Jacques Chirac s’affrontaient sur ce même budget. Si elle s’est révélée à l’épreuve impuissante à faire des choix porteurs d’avenir et à y affecter des moyens, c’est pour beaucoup parce qu’elle est écartelée entre des pays aux situations économiques disparates, dont les priorités diffèrent au moins autant par nécessité que par fidélité à des positions doctrinales.

Faisons une revue des troupes, des plus abimées aux plus valides. L’Europe du Sud est en route pour une décennie perdue qui n’a rien à envier à l’Amérique latine des années quatre-vingt. Même si l’on exclut la Grèce, en profonde dépression économique, Espagne, Italie et Portugal ont toute chance de n’avoir pas retrouvé en 2017 le PIB par tête de 2007. Partout, le désastre économique induit une forte dégradation de la situation sociale. Il est aussi porteur de contrecoups politiques dont on ne mesure pas encore l’ampleur. 

Le Royaume-Uni clame sa singularité, mais il n’est plus un exemple. Son PIB se situe encore trois points en-dessous du niveau atteint au premier trimestre 2008 et en dépit des efforts de la Banque d’Angleterre, la croissance est à l’arrêt depuis 2010. L’économie privée crée beaucoup d’emplois, mais la productivité stagne. La théâtralisation de son dilemme européen ne doit pas tromper : David Cameron, qui avait misé sur le couple austérité budgétaire / soutien monétaire, se trouve dans une impasse.

L’Europe centrale et orientale a fait preuve ces dernières années d’une remarquable résilience et va plutôt bien, malgré un chômage encore élevé. Plusieurs pays qui ont subi des purges extrêmement sévères – dans les Pays baltes, les baisses du PIB ont atteint 15% en 2009 – sont en phase de redressement et affichent des taux de croissance certes inférieurs à ceux de la dernière décennie, mais qui font cependant envie. La Pologne a réussi l’exploit de traverser toute la crise sans jamais connaître une croissance inférieure à 1%.

En Europe du Nord, la croissance des pays émergents fait la fortune de l’industrie, le PIB a généralement dépassé son niveau de 2007, et le marché du travail n’est pas loin du plein emploi. Bien sûr, le choc de 2009 a laissé des traces, et les réformes sociales comme celles du chancelier Schröder se payent d’un accroissement des inégalités. Mais en Allemagne, en Autriche ou en Scandinavie (les Pays-Bas, aux prises avec l’éclatement d’une bulle immobilière, sont en moins bon état), l’optimisme domine. Parallèlement, le doute gagne quant à la capacité du Sud à suivre le rythme. Le même doute, d’ailleurs, s’exprime à demi-mots à l’égard de la France, dont les Allemands lisent l’évolution depuis dix ans comme une lente glissade vers le Sud.   

Il est inévitable que des pays aux situations si disparates n’abordent pas les choix économiques de la même manière. C’est vrai du budget : l’Europe du Sud aurait eu besoin qu’il traduise une volonté d’initiatives pour la croissance, mais l’Europe du Nord, qui craint par-dessus tout une « union des transferts », a rallié le point de vue britannique. C’est vrai aussi du taux de change de l’euro. Pour le Sud, qui doit impérativement regagner des parts de marché, se réindustrialiser et rééquilibrer ses échanges, un euro faible est nécessaire. Espérer un redressement serait illusoire si ce rééquilibrage devait se faire entièrement vis-à-vis de l’Europe du Nord. Un tel scenario imposerait d’ailleurs une déflation prolongée qui handicaperait la sortie de l’endettement. Mais l’Europe du Nord, elle, n’a pas envie d’un change faible. Comme toujours lorsque les exportations se portent bien, elle aspire à convertir ses succès en gains de pouvoir d’achat et donc regarde l’appréciation (modérée) de la monnaie comme une bonne nouvelle. 

Les lectures de la crise de l’euro diffèrent elles aussi. Au Nord, celle-ci est essentiellement vue comme l’effet d’un manquement aux règles, explicites et implicites, auxquelles avaient souscrit les participants à la monnaie commune. Au Sud on met en cause les failles dans l’architecture de la zone euro et notamment la vulnérabilité des Etats aux mouvements de capitaux. Entre ces deux approches, il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois pour trouver un compromis. Il faut évidemment se réjouir des avancées sur la responsabilité budgétaire et sur l’union bancaire, mais chaque nouvelle décision fait ressurgir la disparité des lectures.    

Ces tensions sont temporaires sans doute, mais elles ne sont pas passagère. Elles vont marquer les prochaines années. L’issue des négociations budgétaires montre que la capacité à les surmonter est hélas limitée, et qu’elles ont tendance à occulter les défis communs. 

About the authors

  • Jean Pisani-Ferry

    Jean Pisani-Ferry is a Senior Fellow at Bruegel, the European think tank, and a Non-Resident Senior Fellow at the Peterson Institute (Washington DC). He is also a professor of economics with Sciences Po (Paris).

    He sits on the supervisory board of the French Caisse des Dépôts and serves as non-executive chair of I4CE, the French institute for climate economics.

    Pisani-Ferry served from 2013 to 2016 as Commissioner-General of France Stratégie, the ideas lab of the French government. In 2017, he contributed to Emmanuel Macron’s presidential bid as the Director of programme and ideas of his campaign. He was from 2005 to 2013 the Founding Director of Bruegel, the Brussels-based economic think tank that he had contributed to create. Beforehand, he was Executive President of the French PM’s Council of Economic Analysis (2001-2002), Senior Economic Adviser to the French Minister of Finance (1997-2000), and Director of CEPII, the French institute for international economics (1992-1997).

    Pisani-Ferry has taught at University Paris-Dauphine, École Polytechnique, École Centrale and the Free University of Brussels. His publications include numerous books and articles on economic policy and European policy issues. He has also been an active contributor to public debates with regular columns in Le Monde and for Project Syndicate.

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