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Comment bâtir une union bancaire européenne crédible

Publishing date
05 June 2012

Un nouveau concept est apparu dans la discussion européenne : celui d'union bancaire. L'expression rebute car elle associe les banques -les responsables de la crise -et l'Union européenne -responsable de l'avoir mal gérée. L'idée fait cependant sens, voici pourquoi.

L'euro a été construit sur deux piliers : un pilier monétaire, avec la BCE ; et un pilier budgétaire, avec le Pacte de stabilité. Mis à part l'interdiction des contrôles de capitaux et la promotion du marché unique des services financiers (applicables aux Vingt-Sept), l'Union monétaire n'a ni pilier financier ni composante bancaire. La BCE elle-même n'est pas en charge de la stabilité financière.

La crise a montré les limites de ce modèle. Le marché financier intégré est en voie de fragmentation : les banques, qui se voulaient européennes par temps calme, sont redevenues nationales parce que seuls les gouvernements nationaux peuvent les renflouer et les superviseurs les ont fortement encouragées à réduire leur exposition au-delà des frontières. Certes, il est difficile de demander aux contribuables nationaux de payer les conséquences d'opérations transfrontalières imprudentes, mais, mise en oeuvre alors même que les capitaux ont cessé de circuler du Nord au Sud, la logique du repli accentue le risque de désintégration.

La corrélation entre doutes sur la solvabilité des banques et doutes sur la solvabilité des Etats a, ensuite, révélé sa puissance déstabilisatrice. En Grèce, en Irlande, en Espagne et en Italie, une logique infernale de contamination réciproque s'est manifestée avec violence. Elle s'explique notamment par le biais national des banques en faveur des obligations émises par leur état souverain (biais, d'ailleurs, moins prononcé en France que chez nos partenaires) et par la responsabilité des Etats dans le renflouement des banques. La BCE ne peut pas enrayer ce cercle vicieux car elle n'est pas et ne peut pas être mandatée pour porter secours aux Etats pris individuellement.

Evoluer vers une union bancaire, et donc une responsabilité centralisée en matière de garantie des dépôts, de supervision bancaire et de résolution des crises, contribuerait à la résilience de l'Union monétaire en renforçant l'intégration financière et en réduisant le potentiel de corrélation entre les crises souveraines et les crises bancaires.

L'affaire n'est cependant pas mince. Pour commencer, il ne faut pas se cacher que l'assurance des dépôts doit être confortée par un accès à la ressource fiscale : il ne servirait à rien de mettre en place un fonds insuffisant pour faire face à une crise d'ampleur. De même, si la responsabilité de renflouer les banques passe au niveau européen, il est indispensable qu'il en aille de même pour la supervision : à défaut, les superviseurs nationaux seraient incités à se montrer négligents face à la prise de risque. Et une capacité exécutive s'impose aussi pour décider et assumer recapitalisations et restructurations.

Deuxièmement, il y a des limites à ce qui peut être assuré. Le fonds européen ne peut pas garantir la valeur des dépôts en euros, parce que cela reviendrait, en protégeant les déposants contre une redénomination de leurs avoirs, à subventionner une éventuelle sortie de l'euro.

Troisièmement, la zone euro n'inclut pas le principal centre financier européen, Londres. Il faudra donc jouer sur la géométrie variable pour combiner les dimensions UE et zone euro. David Cameron a, heureusement, décidé que l'intérêt national commandait de laisser la zone euro faire ce qu'il lui faut faire pour survivre. Mais le diable est dans les détails et les négociations quant aux contours exacts de l'union bancaire et son interaction avec les règles du marché unique seront délicates.

Dernier point, mais non des moindres, tout mécanisme d'assurance comporte des biais distributifs. Les pays dont les banques sont plus solides sont réticents à subventionner ceux dont le système financier est perçu comme plus fragile. Même si les crises bancaires ne sont l'apanage de personne et même si la survie de l'euro vaut bien un transfert Nord-Sud, les pays de l'Europe du Nord restent, dans l'immédiat, réticents à prendre en charge la recapitalisation des banques espagnoles.

L'Europe va-t-elle sauter le pas ? Jusqu'à peu, cela semblait improbable. Le protectionnisme financier, la peur des transferts, l'aversion à la centralisation se liguaient contre l'idée d'union bancaire. Mais la perception par les marchés que l'existence même de l'euro est en jeu pourrait bien changer la donne. Ce ne serait pas la première fois que les dirigeants européens attendraient d'être au bord du gouffre pour prendre une décision. Mais pas non plus la première fois qu'ils finiraient par reconnaître les faits et en tirer les conséquences.

This is the French version of the column The case for a European banking union. A version of this column was also published in Les Echos

About the authors

  • Jean Pisani-Ferry

    Jean Pisani-Ferry is a Senior Fellow at Bruegel, the European think tank, and a Non-Resident Senior Fellow at the Peterson Institute (Washington DC). He is also a professor of economics with Sciences Po (Paris).

    He sits on the supervisory board of the French Caisse des Dépôts and serves as non-executive chair of I4CE, the French institute for climate economics.

    Pisani-Ferry served from 2013 to 2016 as Commissioner-General of France Stratégie, the ideas lab of the French government. In 2017, he contributed to Emmanuel Macron’s presidential bid as the Director of programme and ideas of his campaign. He was from 2005 to 2013 the Founding Director of Bruegel, the Brussels-based economic think tank that he had contributed to create. Beforehand, he was Executive President of the French PM’s Council of Economic Analysis (2001-2002), Senior Economic Adviser to the French Minister of Finance (1997-2000), and Director of CEPII, the French institute for international economics (1992-1997).

    Pisani-Ferry has taught at University Paris-Dauphine, École Polytechnique, École Centrale and the Free University of Brussels. His publications include numerous books and articles on economic policy and European policy issues. He has also been an active contributor to public debates with regular columns in Le Monde and for Project Syndicate.

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