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M. Mittal peut-il dédramatiser la mondialisation

Publishing date
11 February 2006
Authors
Nicolas Véron

In this column Nicolas Véron examines worries expressed in France about Mittal Steel‘s hostile takeover bid on Arcelor, and finds them largely unfounded. 

Ca y est : la mondialisation, pour les Français, a un visage. Avant le 27 janvier, elle était une abstraction anonyme, ce qui la rendait d’autant plus inquiétante. Depuis cette date, elle est en revanche incarnée par Lakshmi Mittal, l’entrepreneur londonien issu de la caste marchande des marwari, plutôt convaincant jusqu’à présent dans son personnage d’Andrew Carnegie du XXIe siècle.
Pour autant, une bonne partie des arguments invoqués pour opposer « Arcelor l’européen » à « Mittal le Global » sonnent creux. Les ambitions de croissance du premier l’ont conduit à gommer déjà beaucoup de particularismes nationaux en son sein, une évolution symbolisée par l’adoption de l’anglais comme langue de travail interne. De son côté, le groupe de Rotterdam a sa part d’héritage occidental mythique depuis le rachat en 2005 de ISG, une sorte d’Arcelor américain issu en 2002 de la fusion de deux des trois grands noms historiques de la sidérurgie aux Etats-Unis, Bethlehem Steel et Republic Steel (devenu LTV en 1984).
En outre, les conditions de travail restent sans doute objectivement plus proches entre les salariés de l’ex- Unimétal en Lorraine, dans le groupe Mittal depuis 1999, et ceux des aciéries d’Arcelor à Liège, Dunkerque ou Avilés qu’entre ces derniers et les travailleurs des hauts-fourneaux brésiliens d’Arcelor, ou de Mittal au Kazakhstan. Par d’autres aspects aussi, Mittal Steel n’est pas très exotique. Sa gouvernance familiale rappelle celle des Michelin, et semble en tout cas mieux encadrée que celle des Mohn chez Bertelsmann. Les droits de vote multiples sont discutables, mais moins léonins que dans la plupart des grands groupes suédois.
Les critères factuels étant ainsi peu conclusifs, on entend ces jours-ci un raisonnement d’un autre ordre. Mittal représenterait un danger par sa conformité aux modèles unificateurs du capitalisme mondialisé, destructeur de droits et de protections, ce dont Arcelor serait prémuni par son ancrage européen, donc supposément en décalage avec les courants globaux. Mais est-il exact que la mondialisation impose aux entreprises un modèle unique ? Cette question est au coeur d’une étude fascinante menée depuis 2000 par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), dont la traduction française vient de paraître à point nommé sous le titre Made in Monde (Seuil). La particularité de leur démarche a été de s’appuyer sur des enquêtes de terrain réalisées dans 500 entreprises en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, couvrant à la fois des secteurs de « haute » et « basse » technologie comme l’électronique et le textile. Grande diversité. En se concentrant sur une approche purement microéconomique, et en se refusant à se prononcer a priori sur la supériorité d’un modèle donné d’organisation des firmes, Made in Monde révèle en fait l’extraordinaire diversité des stratégies gagnantes et l’absence de fatalité dans les trajectoires des entreprises et des secteurs d’activité. En particulier, la double problématique de la délocalisation et de l’externalisation (offshoring/outsourcing) est traitée de manière opposée par différentes entreprises, sans que la concurrence ait pour effet d’unifier leurs comportements. Par exemple, Samsung produit l’essentiel de la valeur ajoutée de ses ordinateurs portables, Dell ne fait qu’assembler en quelques minutes des composants fabriqués par des fournisseurs externes, ce qui n’empêche pas ces entreprises d’être toutes les deux prospères et en croissance.
Zara fait fabriquer une grande partie de ses vêtements dans le nord-ouest de l’Espagne, alors que Gap externalise presque tous ses approvisionnements dans des pays émergents. Le livre fourmille de telles mises en perspective et illustre en particulier l’absence de lien évident entre coûts salariaux unitaires et coûts de production, ce qui rend souvent hasardeuse la migration vers les pays à bas salaires dans le seul but de diminuer les prix de revient.
Comme le souligne Suzanne Berger, signataire de Made in Monde au nom de l’équipe du MIT, « la place laissée au choix et à l’action est bien plus vaste que ne le suggèrent les représentations les plus répandues de la mondialisation », selon lesquelles la concurrence globale nivellerait toutes les pratiques pour les faire se conformer à un modèle unique et destructeur d’acquis sociaux.
Considérée à cette aune, l’offre de Mittal se prête à une lecture quelque peu dédramatisée. Elle signifie d’abord que les usines européennes d’Arcelor ont un grand potentiel, y compris pour un industriel rompu à l’expérience des pays à bas salaires. Elle n’implique ni délocalisation, ni externalisation et, de même que la création d’Arcelor en 2001, elle réjouirait sans doute les pères fondateurs de la CECA qui, en 1950, cherchaient à doter l’industrie sidérurgique d’un marché ouvert et à la dissocier des nationalismes qui avaient causé tant de tort à l’Europe. Bien sûr, l’affrontement ne fait sans doute que commencer. Certains actionnaires d’Arcelor semblent douter de la pertinence de la valorisation actuelle de Mittal Steel, et leurs préoccupations sont légitimes compte tenu de la liquidité limitée du titre. Les attaquants doivent aussi se préparer à de longues négociations avec les syndicats, le gouvernement luxembourgeois et bien d’autres. Mais si leur offre aboutit et si leurs pratiques, comme on peut le penser, s’adaptent en douceur au contexte européen, se pourrait-il en définitive que le visage de M. Mittal contribue à nous rendre la mondialisation un peu plus rassurante ?

This comment was published in La Tribune.

About the authors

  • Nicolas Véron

    Nicolas Véron is a senior fellow at Bruegel and at the Peterson Institute for International Economics in Washington, DC. His research is mostly about financial systems and financial reform around the world, including global financial regulatory initiatives and current developments in the European Union. He was a cofounder of Bruegel starting in 2002, initially focusing on Bruegel’s design, operational start-up and development, then on policy research since 2006-07. He joined the Peterson Institute in 2009 and divides his time between the US and Europe.

    Véron has authored or co-authored numerous policy papers that include banking supervision and crisis management, financial reporting, the Eurozone policy framework, and economic nationalism. He has testified repeatedly in front of committees of the European Parliament, national parliaments in several EU member states, and US Congress. His publications also include Smoke & Mirrors, Inc.: Accounting for Capitalism, a book on accounting standards and practices (Cornell University Press, 2006), and several books in French.

    His prior experience includes working for Saint-Gobain in Berlin and Rothschilds in Paris in the early 1990s; economic aide to the Prefect in Lille (1995-97); corporate adviser to France’s Labour Minister (1997-2000); and chief financial officer of MultiMania / Lycos France, a publicly-listed online media company (2000-2002). From 2002 to 2009 he also operated an independent Paris-based financial consultancy.

    Véron is a board member of the derivatives arm (Global Trade Repository) of the Depositary Trust and Clearing Corporation (DTCC), a financial infrastructure company that operates globally on a not-for-profit basis. A French citizen born in 1971, he has a quantitative background as a graduate from Ecole Polytechnique (1992) and Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris (1995). He is trilingual in English, French and Spanish, and has fluent understanding of German and Italian.

    In September 2012, Bloomberg Markets included Véron in its second annual 50 Most Influential list with reference to his early advocacy of European banking union.

     

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